La Contrebasse

Petite histoire de la contrebasse

Longtemps restée dans l’ombre des salles de spectacle, parfois même méprisée, la contrebasse nous dévoile aujourd’hui, plus que jamais, toute l’étendue de son potentiel. Malgré sa taille et son registre grave, la contrebasse se révèle, se fait entendre, nous éclaire de ses chaleureuses sonorités et a pu acquérir progressivement ses lettres de beauté grâce à de nombreux artistes virtuoses et à l’évolution de la facture instrumentale.

L’histoire de la contrebasse est un véritable casse-tête pour les historiens, peut-être serait-il d’ailleurs plus juste de dire : "les histoires de la contrebasse". La difficulté provient du fait que les témoignages des musiciens de la Renaissance (écrits, peintures et ouvrages sur la nomenclature instrumentale) reflètent une (trop) grande variation de la signification des termes désignant les instruments graves. Le lexique les concernant allait de "contre-basse", "violone", à "double-basse", "contre-violon", etc. La liste est longue et l’absence de spécifications sur les instrumentations des œuvres de l’époque n’arrange rien ! Le terme "contre-basse" ne fût d’ailleurs admis à l’Académie Française qu’en 1740 et garda sont trait d’union jusqu’en 1835.

A l’origine, au XVI ème siècle, deux familles d’instruments à cordes se côtoyaient : la famille des violes et la famille des violons ; la famille des violes (viole de gambe, …) semblant être antérieure à celle des violons. Chaque famille comprenait alors des instruments graves ou aigus. Par exemple, pour le grave qui nous concerne, nous trouvions notamment la contrebasse de violon, la basse de viole, la contrebasse de viole, la basse de violon à l’octave.

A cette époque, on accordait généralement la préférence aux douces violes, plus faciles à jouer et moins bruyantes que les violons… Toutefois, au fil du temps, avec l’évolution du genre et du goût musical, les préférences s’inversèrent et le déclin des violes à partir du XVII ème siècle aboutit finalement à leur éviction totale des orchestres.

Vers le milieu du XVIII ème siècle, la famille des violes fut définitivement remplacée par la famille du violon, groupée dans le quatuor que l’on connaît aujourd’hui : le violon, l’alto, et le violoncelle. Le terme "violone", souvent employé pour désigner la contre-basse de viole (de gambe) mais aussi pendant très longtemps la contrebasse de violon (vous suivez ?) signifie étymologiquement "grande viole". Quant au terme « violoncelle », qui signifiait "petit violone", il conduisit finalement certains musicologues à penser que le violoncelle fut inventé après le violone ou contrebasse. En fait, les nombreuses variations de la signification du terme « violone » et de ses synonymes, tantôt de « viole de gambe », ou de « contrebasse de viole de gambe » ou encore de « violon » (si, si !) au cours des XVI ème, XVII ème et XVIII ème siècle, ôtent tout crédit à une grande partie des témoignages qui pourraient nous éclairer sur l’apparition des contre-basses et qui permettraient d’un dégager une généalogie.

Ce qui importe finalement, bien que ce sujet fasse polémique, c’est que la contrebasse que nous connaissons aujourd’hui est sans doute la descendante hybride de la contrebasse de viole et de la contrebasse de violon, donc la seule survivante de la famille des violes au sein des instruments modernes.

En effet, une contrebasse qui serait construite dans les proportions de dimensions d’un violon, ou d’un alto ou d’un violoncelle serait gigantesque et fort peu maniable. C’est pourquoi au fil des siècles, les contrebasses ont subi de nombreuses modifications et améliorations qui permettent à l’instrument et aux instrumentistes de développer un jeu plus souple, une plus grande virtuosité et un élargissement de la tessiture de la contrebasse de plusieurs octaves.

La contrebasse, compromis entre les violes et la forme du violon, était principalement utilisée dans les églises au XVII ème siècle ; elle y soutenait les chants et renforçait les basses de l’orgue en pratiquant ce que l’on appelle la basse continue. Ce n’est que dans la seconde moitié du XVII ème siècle que la contrebasse fit son entrée au service des "violons du Roy" et au XVIII ème siècle à l’Opéra de Paris mais aussi aux Opéras de Naples et de Vienne.

C’est la période du classicisme Viennois (1750-1800) qui donnera naissance aux premiers concertos et à de nombreuses sonates sous la plume de K.D. von Dittersdorf, Sperger, Mozart, M.Haydn... Longtemps la contrebasse ne servit dans les orchestres qu’à doubler les violoncelles à l’octave inférieure. Pour rappel, la contrebasse est un instrument transpositeur ! En effet, elle sonne à l’octave inférieure de ce qui est écrit sur la partition.

Les virtuoses Domenico Dragonetti (1763-1846), Giovanni Bottesini (1821-1889), le "Paganini" de la contrebasse, puis les contrebassistes Edouard Nanny, Isaïa Bille, S.Koussevitzky et Frantz Simandl démontrèrent le potentiel de l’instrument et contribuèrent à son émancipation par leurs avancées pédagogiques et la création d’un large répertoire d’oeuvres pour contrebasse seule. De même, Joseph Haydn écrivit dans ses symphonies (N°6, Le matin et N°7, Le Midi ainsi que dans la symphonie N°45, "symphonie des Adieux"), les premiers solos pour contrebasse, souhaitant ainsi mettre en valeur la virtuosité de ses musiciens. Quand à Beethoven, ami de Dragonetti, il fut l’un des premiers à confier à la contrebasse dans ses 5ème et 6ème symphonies une partie distincte du violoncelle. Berlioz l’utilisa également pour des passages plus mélodiques et Verdi, ami de Bottesini, confia dans ses opéras Rigoletto, Aïda et Othello plusieurs passages en solo au chef de pupitre des contrebasses ou au pupitre entier. G.Mahler, Stravinsky, Prokofieff, Milhaud, Ravel, Britten, Ginastera, ont tous utilisé la contrebasse en solo dans leur répertoire symphonique ou d’ensemble. Parallèlement, un répertoire de musique de chambre et de musique concertante se développa au XIXème et XXème siècle. Citons la célèbre "Truite" de Schubert et les quintettes de Hummel et Onslow, les quatuors de Rossini pour contrebasse, violons et violoncelle, l’histoire du soldat de Stravinsky, le quintette de Prokofieff, le trio de d’Erwin Schuloff... La liste est très longue.

Au XXème siècle, la contrebasse s’émancipe peu à peu de son rôle d’instrument d’accompagnement pour devenir un instrument soliste. L’avènement du Jazz avec lequel l’exploitation de la contrebasse comme une voix à part entière, a permis de développer de nouvelles ressources sonores inexploitées ainsi que la technique du pizzicato (citons les contrebassistes Ch.Mingus, Slam Steward, Scott La Faro, Gary Peacock, Jean-François Jenny Clarck et bien d’autres) n’est sans doute pas non plus sans influence sur le répertoire de la musique contemporaine. En effet, le répertoire du XXème siècle pour la contrebasse donna naissance à de nombreuses oeuvres pour contrebasse seule qui ont apporté une grande évolution dans l’exploration du potentiel de ses ressources sonores. La "Sérénade" de Henze (1949), les" Improvisations pour contrebasse seule" de Kurtz (1968) et "Valentine" de Druckman (1969) ont largement contribué à l’évolution de l’écriture pour la contrebasse. Ces compositeurs ont aussi ouvert la voie vers de nouvelles perspectives créatrices soit par la recherche d’un travail sur le son (Scelsi), par une certaine théâtralité (Kanach, Léandre,...), par la performance technique (Xénakis,...), par l’influence du Jazz (Dusapin...), ou tout à la fois.

C’est grâce à la démarche de contrebassistes auprès des compositeurs que ce répertoire a pu voir le jour. On ne peut que s’incliner devant le respect qu’impose la démarche de Joëlle Léandre depuis les années 1970 ou Bertram Turetzky, dans les années 1950. Leurs recherches ont permis de faire prendre conscience aux compositeurs du potentiel de la contrebasse contribuant ainsi largement à l’extension du répertoire actuel et à l’inscription de toute démarche musicale dans notre temps.

Tout au long de son histoire, et encore de nos jours, la contrebasse a démontré une certaine instabilité de la facture instrumentale et donc une évolution en perpétuel mouvement. La forme de l’instrument, son nombre de cordes oscillant depuis le XVIème siècle de 3 à 6 (de nos jours 4 ou 5 cordes), la tenue de l’archet "main sur la baguette" comme pour le violoncelle ou "main sous la baguette" (comme sur les violes) de même que ses dimensions ne sont pas définis et nous laissent dans l’interrogation quant à son évolution.

Je me risquerai tout de même à une supputation toute personnelle, fruit de mes observations et de nombreuses discussions avec différents luthiers : il est possible que l’avenir voit l’utilisation plus courante de la contrebasse à 5 cordes mais dont la 5ème cordes ne serait pas un do grave mais un do aigu. Ce n’est là qu’un point de vue, les questions restent ouvertes...

©Philippe Cormann